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PROBLEMATIQUES INTERCULTURELLES - CONCEPTUALISATION

Texte de réflexion Asiad - avril 2003

1-Approches conceptuelles :

De mon point de vue, aborder la question des constructions identitaires, c’est d’abord revisiter certaines notions comme la culture et l’identité culturelle, qui nous permettrons de recueillir des données et d’alimenter la réflexion sur le sujet.

Si les notions de culture et d’identité culturelle ont en grande partie un destin lié, elles ne peuvent être confondues purement et simplement. La culture peut aller sans conscience identitaire, tandis que les stratégies identitaires peuvent manipuler et même modifier une culture qui n’aura plus grand chose en commun avec ce qu’elle était auparavant : l’identité renvoie à une norme d’appartenance, nécessairement consciente, car fondée sur des oppositions symboliques.
Dans cette perspective, l’identité culturelle est au cœur de la relation entre les associations elles-mêmes, mais aussi entre les associations et les pouvoirs publics, car elle peut apparaître comme une modalité de catégorisation de la distinction nous/eux, fondée sur la différence culturelle.

Le terme d’identité est faussement clair, comme souvent lorsqu’on désigne par quelque vocable une réalité elle-même mal débroussaillée. Par contre, ceux qui discutent se réfèrent presque toujours à deux repères au moins : l’appartenance à un groupe et l’appartenance à un système de valeurs.

2-Quelques exemples :

Que signifie, en effet, pour un Noir, être Noir ? A écouter les premiers concernés, être noir, c’est appartenir (plus ou moins) à une communauté d’hommes noirs (quel que soit le sens donné à cette communauté), en partager solidairement la condition et le destin, pour le meilleur et pour le pire. C’est aussi en accepter, respecter, appliquer (plus ou moins également) le système de valeurs et d’institutions qui régit sa vie collective. Bref, l’identité du Noir comporte un aspect subjectif et un aspect objectif ; une adhésion plus ou moins volontaire, une contrainte intérieure plus ou moins acceptée ; et des données culturelles, sociales et historiques, un sort commun avec les autres Noirs auquel se réfère, bon gré mal gré, cette revendication. Cette double polarisation commande tout le reste. Etre de couleur noire, pour le Noir, n’est pas un fait esthétique ni même un fait biologique, mais le signe de son appartenance. Et du même coup, contre-épreuve : le signe de sa non-appartenance au groupe des blancs et à leur système de valeurs. En somme, un aspect positif et un aspect négatif.

Sur le cas des Noirs, on voit bien que : la biologie, si biologie il y a, les autres traits différentiels, qu’ils soient réels ou imaginaires, n’ont de valeurs que relativement à cette double ou triple polarisation et par le sens qu’ils y acquièrent. De même pour les femmes ; de même finalement pour tout groupe, pour tout membre d’un groupe, dominé ou non.
Certes, chaque groupe ayant une physionomie particulière, résultant d’une histoire et d’une insertion particulière dans le monde des hommes, il n’est pas exactement équivalent d’être un noir, un juif, un français ou un polonais, mais par-delà la complexité spécifique de chacun, il existe, pour ce qui nous occupe, un dénominateur commun : équation à trois variables, l’identité culturelle est fonction d’un groupe et d’un système de valeurs.

3-Le triangle de l’identité :

Ces trois variables forment un triangle qui dessine la scène où se déroule le drame identitaire de chaque groupe.
Le sentiment d’identité culturelle provient de l’appartenance à un groupe, dont la définition et la cohésion repose sur un système commun et relativement cohérent, de valeurs et d’institutions. Ce système est plus ou moins respecté selon les individus et les sous-groupes, selon les aléas de l’existence commune, mais il reste pertinent tant qu’il demeure une norme de référence, apparemment stable, pour la majorité des membres du groupe.
Le musulman de la rue, le chrétien ou le juif ne connaissent peut-être pas le détail du dogme et les variations éventuelles de la doctrine et du rite ; ils admettent cependant que l’islam, le christianisme ou je judaïsme les définit, et en quelque sorte les constituent comme musulman, chrétien ou juif.

De la même manière, qu’est-ce qui donne base, incarnation et devenir, à une vision du monde, à des règles de conduite collective, sinon une relative permanence démographique ? Un groupe toujours vivant, sans lequel le système prendrait définitivement place dans le ciel immuable parce que révolu de l’histoire des idées. Le groupe et le système de valeurs se définissent l’un par l’autre et se renforcent réciproquement.
Le chercheur et écrivain tunisien d’expression française Albert MEMMI, trouve
commode de nommer chaque identité culturelle par un terme adéquat, différent mais cousin des autres, de façon à marquer à la fois leurs singularités respectives et leurs parentés. C’est ainsi que pour nommer l’identité culturelle des juifs, il propose le mot de judéité, puis celui de négrité pour l’identité culturelle du Noir, qui sera éclipsé par « négritude ». Sur la même lancée, il préfère arabité pour l’identité des arabes, et pourquoi pas, puisque le moule existe, féminéité pour l’identité culturelle des femmes, qu’il ne faut pas confondre avec féminité, etc…

Ainsi, le triangle de l’identité culturelle des Noirs, par exemple, aurait succéssivement à ses sommets : la négrité, ou le fait et la manière d’être noir, ou l’ensemble des caractéristiques qui désignent un Noir, la négricité ou l’ensemble des hommes noirs, et le négrisme, ou l’ensemble des valeurs et institutions qui régissent la vie de ces hommes. De même pour arabité, arabicité et arabisme. Chacun peut de même construire le triangle de son identité culturelle.

4-Le jeu des inclusions :

A l’évidence, le triangle de l’identité culturelle n’est pas suspendu dans les airs comme un dirigeable. Il est relativement clos sur lui-même, c’est vrai mais il fait partie, dans sa totalité, d’un ensemble plus vaste, et même de plusieurs ensembles, eux-mêmes homogènes ou hétérogènes. En outre, il est poreux : une communauté humaine, aussi fermée soit-elle, est presque toujours en osmose avec d’autres groupes qui l’englobent ou non, qui l’imprègnent, l’enrichissent et l’aspirent, l’oppressent ou la favorisent ; et auxquels elle apporte en retour, contribution pour la vie commune.

Ce qui nous conduit à interpréter le sommet démographique du triangle d’une manière plus ou moins extensive. L’identité culturelle du Noir américain se réfère d’abord à la communauté noire de sa ville ; mais, par-delà son ghetto proprement dit, à la communauté noire globale des Etats-Unis et par-delà encore, au monde noir tout entier, même éparpillé, disséminé à travers toute la surface de la terre. Nous nous trouvons devant une série d’inclusions dans une aire socio-culturelle de plus en plus étendue, diluée peut-être, mais où l’écho et les retours de l’écho ne cesse de se croiser et de s’entrecroiser.

On peut apercevoir quelque chose du même genre aux Antilles, où l’on est à la fois Martiniquais, Antillais et, d’une certaine manière Africain. Telle danse ou tel rite africain suscite une résonnance dans le système culturel de telle concentration noire ; l’allusion au passé africain, une simple séquence cinématographique ou télévisuelle, ne retentira évidemment pas de la même manière sur un noir et sur un blanc des Antilles. Ont peut donc on le voit, nommer négricité à la fois la communauté la plus restreinte et la communauté la
plus large, celle qui existe entre tous les noirs.
L’identité culturelle des Noirs américains, pour rester dans cet exemple, ne se définit pas seulement par ses multiples références aux groupes noirs, mais aussi par ses références aux groupes blancs des Etats-Unis et d’ailleurs. Cette deuxième série d’inclusions est à l’origine de riches emprunts, mais aussi de multiples conflits, de pertes et érosions. Le Noir américain est aussi un Américain, qui participe du patrimoine américain commun, mais c’est un américain handicapé par des difficultés particulières.

5-Négativité et positivité :

Donc, relations à la fois positives et négatives. Etre un noir signifie aussi, avons-nous dit, ne pas être un blanc dans un monde régi par les valeurs des blancs ; être une femme, c’est aussi ne pas être un homme dans un monde où les hommes font la loi, etc. L’appartenance au groupe, noir ou féminin se traduit par une non-appartenance (relative) aux autres groupes, en général dominants, qui composent la société globale commune. Une irrésistible négativité s’impose à tout membre d’un groupe minoritaire ou dominé. D’une manière ou d’une autre, être noir ou femme se traduit par une exclusion d’un monde plus avantageux au moins par certains côtés, en tous cas moins précaire que celui du dominé. Précarité qui peut aller jusqu’au malheur permanent : le racisme par exemple, la négrophobie ou la misogynie.

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